Classe autonome ou classe autogérée ?

Tous les enseignants ont pour objectif « l’autonomie » de leurs élèves. Mais que signifie ce terme et comment permettre aux enfants d’y accéder ? Quel est le sens de l’autonomie en pédagogie Freinet, par contraste avec les pédagogies « conventionnelles » ? Quels sont les outils et techniques de la PF que nous utilisons, les un.e.s et les autres, dans nos classes ? Et comment les mettre en place ? Voilà à quoi nous avons réfléchi au cours de cet atelier à l’école maternelle Lesseps de Toulouse le 20 mai 2022. Cela nous a amené à parler de sujets aussi divers que : Pidapi, les « Greco », les ceintures et les blasons, le travail de groupe et la coopération, le plan de travail, les récompenses et les punitions, la monnaie de classe, le Conseil de coopération, l’autogestion…

PIDAPI

L’outil PIDAPI est central dans la pratique de certain.e.s d’entre nous. Des enseignants de notre groupe l’ont observé chez des collègues et voudraient le mettre en place. Certain.e.s l’utilisent uniquement pour les maths, d’autres uniquement pour le français, d’autres encore pour les deux, d’autres enfin pour maths, français, histoire-géo et sciences. Il consiste en des fiches auto-correctives dont la progression s’évalue en pré-ceintures et ceintures de couleurs. Il est indissociable d’une pratique coopérative, individualisée et institutionnelle.
Un des problèmes de PIDAPI est son coût, rédhibitoire pour certaines écoles. Une option est de l’acheter sur ses deniers propres, et de pouvoir l’avoir avec soi quand on change d’école. C’est un outil long à mettre en place, il faut du temps pour le prendre en main et y trouver son compte. La question se pose aussi, pour les élèves très en difficulté, d’adapter les épreuves pour mettre moins d’items ou de les simplifier.

Ceintures et blasons

Une alternative aux ceintures, qui peut parfois être un complément, ce sont les blasons. Ceux-ci comprennent généralement plusieurs niveaux. L’idée est qu’un enfant, même en difficulté, peut passer un blason sur un point précis des programmes qui correspond à un atelier en classe. Iel colorie au fur et à mesure des épreuves son blason, qui se présente comme une sorte de mandala. Quant iel a terminé, iel peut devenir « assistant.e » de l’enseignant.e sur ce sujet. Cela permet de valoriser certains élèves qui en ont besoin et se concentrent sur une matière au détriment des autres.
Quand les élèves sont bloqués sur un atelier, ils s’inscrivent sur un tableau. A partir du moment où 3 élèves sont inscrits, l’enseignant.e peut proposer un petit atelier de leçon, remédiation, explication sur mesure.

GRECO

Les Greco (Groupes de réflexion et d’entraide sur les compétences orthographiques) est un outil qui permet de travailler l’orthographe de manière ritualisée et coopérative, en alternant travail individualisé et de groupe. Il comprend en général 3 textes par semaine. A l’étape 1, les élèves font une dictée classique d’une phrase ou deux. Puis ils travaillent en groupe (chaque élève a un rôle défini) et réécrivent le texte en se concertant. Enfin ils refont la même dictée. On peut parfois y adjoindre la phrase du jour, et d’autres rituels de ce type. Le travail de groupe en autogestion suppose une ritualisation qui fait que « ça roule ». L’enseignant peut rapidement visualiser les élèves décrocheurs et repérer les difficultés. Là encore, c’est une pratique qui demande du temps pour s’installer.

Travail de groupe et coopération

On cherche un bon équilibre entre travail collectif, travail de groupe et travail individuel. Quoi qu’il en soit, il n’y a pas de solution miracle, et notre équilibre est toujours le fruit d’un « bricolage ».
Des collègues remarquent que lors du travail en ateliers dans la méthode MHM, par exempl, les élèves travaillent souvent l’un à côté de l’autre et non pas ensemble.
Certains enfants n’arrivent pas du tout à travailler avec les autres.
Mais l’enseignant a aussi ses propres freins, car bien sûr, le bruit est inévitable. Certes, les enfants ne sont pas faits pour vivre dans le silence, mais il y a des manières de réguler un niveau sonore qui peut devenir insupportable : code des sons, baromètre du son (l’enseignant indique que le son devient trop fort).
On pense que chaque élève doit avoir son rôle ; que les retours de l’enseignant doivent être fréquents (régulation, gestion des conflits).

La monnaie vs les récompenses

Est-ce que la récompense ne devrait pas simplement être d’apprendre ? Oui, c’est vrai, mais un enfant petit ne s’intéresse pas toujours spontanément aux apprentissages. Il a besoin d’une motivation extérieure. Certains élèves ne font rien sans « carotte », même si l’idéal serait d’éduquer sans punition ni récompense…
Pour les élèves TSA ou TDAH, certain.e.s proposent une « économie de jetons ». A chaque travail terminé l’enfant reçoit un jeton. Il remplit ainsi une série de cases sur une planche. Une fois un certain nombre de cases remplies il reçoit une image, ou une carte… Une fois le système lancé, les exigences peuvent être affinées par niveau (travail fini, travail correct, travail soigné, etc.) Ceci est appelé « renforcement » par les psychologues. Mais finalement, qu’est-ce qui distingue le « renforcement » de la « récompense », aussi appelée « carotte » ? On en revient aux « bons points » de notre enfance…
Est-ce qu’une note (ou smiley ou couleur ou appréciation de l’enseignant.e sur le travail) est un « renforcement » ?
Il existe aussi le système des « privilèges » accordés à l’élève après un certain nombre de travaux correctement effectués ou d’efforts fournis. Par exemple, l’élève peut choisir une chanson à chanter à la classe, décider d’un jeu collectif, etc. Mais ceci est gênant, car finalement est-il nécessaire d’avoir un « privilège » pour présenter une chanson ? Le système des privilèges suppose qu’en temps normal l’élève n’ait aucun droit. Une alternative serait de récompenser la classe entière et non l’élève. Chaque « bon point » gagné par l’élève est rapporté à la classe, ainsi la générosité devient la norme et la récompense est collective…
La monnaie de classe, en tant qu’institution validée et régulée collectivement, dépasse la simple récompense, de la même manière qu’une sanction éducative diffère d’une punition.
La monnaie cristallise les désirs de l’élève, parce qu’elle l’insère dans un système collectif et donne une valeur symbolique à son travail.

Le plan de travail, un élément crucial dans l’organisation

Pour que le travail autonome ne devienne pas « n’importe quoi », pour que l’élève sache où aller, quoi faire, pour garder une trace du travail, pour que l’élève puisse s’auto-évaluer.… Comment faire ? Certain.e.s utilisent des « poppits » en plastique, par exemple un rectangle de 4 lignes de 5. Chaque ligne représente une matière ou un domaine. Chaque case ou rond enfoncé représente une tâche accomplie. L’élève peut ainsi visualiser où iel en est. Iel répond ainsi à une « feuille de route » fixée par l’enseignant sur la période ou l’année. Evidemment certains enfants choisiront toujours les ateliers les plus ludiques (mesures et transvasements par exemple, parce qu’on manipule de l’eau).
Le plan de travail permet à l’élève (et à ses parents) de visualiser où il en est, et de voir si son travail est équilibré entre différentes matières.
Il existe une infinité de variantes du plan de travail, correspondant à un enseignant, un moment, un élève, des besoins ponctuels, une période, un fonctionnement de classe, etc.
Certain.e.s enseignant.e.s populaires sur Internet se targuent d’utiliser le « plan de travail » mais celui-ci n’est pas individualisé, l’élève doit juste accomplir toutes les tâches prévues par l’enseignant, en cochant des items dans une liste fermée. Au contraire le plan de travail élaboré par Freinet suppose que l’élève choisisse son travail et qu’il coopère avec ses camarades (ateliers, travaux de groupe, travail libre, projets personnels, tutorat…). Bref, l’enfant s’auto-détermine. « Autonome » au sens propre, c’est se fixer sa propre loi. Mais cette loi est collectivement validée et raisonnable au regard des objectifs fixés par le groupe.

Autonomie ou autogestion ?

La pédagogie Freinet ne suppose donc pas seulement d’atteindre l’autonomie, mais de pratiquer une gestion collective, tout en partant des centres d’intérêt des élèves (quoi de neuf, exposés et conférences d’enfants, projets personnels, créations, etc.), ce qui implique que les enfants ne vont pas fuir le travail mais au contraire le rechercher.
Il faut être honnête et clair avec les parents d’élèves en leur présentant nos outils, y croire nous mêmes et avoir confiance, sans cacher les défauts ou lacunes qu’ils peuvent comporter, et expliquer pourquoi et comment on compense ces lacunes avec d’autres outils/ techniques. En CM2, on peut par exemple, en plus de Pidapi, proposer des « vraies évaluations » sur certains sujets, pour préparer les enfants au collège.
Les institutions comme le plan de travail et la monnaie rendent les enfants plus autonomes, certes, mais surtout plus conscients du collectif. Le coeur du travail, c’est donc le Conseil, qui fixe, décide, régule et valide le travail, sa rémunération, ses orientations. C’est donc une véritable autogestion qui est visée et pratiquée quotidiennement dans nos classes.