L’écriture collective, la méthode Le Bohec

Nous avons expérimenté une technique d’écriture collective inventée par Paul Le Bohec, instituteur disciple de Freinet. Ecrire collectivement permet de désamorcer les peurs, l’angoisse de la page blanche, la timidité ou la sensation de ne pas être légitime. Cette technique se pratique par groupes (entre 4 et 8 élèves) et en cinq étapes.

Les étapes à suivre :

  1. Etape 1 – « le mot tournant » : chacun·e prend une demie-feuille A4 et écrit un mot, puisse passe à la voisin·e qui écrit un mot en-dessous (soit en s’inspirant du sens et/ou des sonorités du mot précédent, soit pas du tout), et ainsi de suite jusqu’à ce que le papier revienne au premier·e écrivain·e. Alors chacun·e peut se lever tour à tour pour mettre en voix sa liste de mots.
  2. Etape 2 – « la phrase tournante » : nouveau papier, idem mais avec des phrases. Mise en voix.
  3. Etape 3 – « le texte tournant » : nouveau papier, idem mais avec une histoire qui se suit (ou pas). Mise en voix par chacun·e.
  4. Etape 4 – « l’injure tournante » : nouveau papier, idem mais avec des injures. Là, en tant qu’enseignant·es, nous nous sommes trouvé·es un peu pris·es au dépourvu, car nous ne souhaitions pas être sexistes, racistes, grossophobes, et c’est bien compliqué… car le répertoire d’injures en français est tout cela à la fois. De plus, nous nous interrogions sur le fait de faire écrire des injures aux élèves alors qu’on leur répète toute la journée qu’il ne faut pas être violent·es verbalement ! En fait, cette étape est destinée à exorciser les peurs, à faire sortir l’excitation pour que le dernier tour d’écriture soit réussi.
  5. Etape 5 – « le vers tournant » : chacun·e écrit un vers de poème, avec ou sans rime, à son tour.

Voici ce qu’ont donné les cinq étapes ce 3 février 2024 à Cazères.

Etape 1 : « le mot tournant »

Bidule
Pendule
Libellule
Crédule
Gudule
Testicule
Canicule
Pustule
Minuscule

Soleil
Adelphique
Slip
Elastique
Marelle
Sieste
Violet
Prune

Tournant
Coucou !
Au revoir
Beau temps
Amusement
Cornichon
Goulu
Ordinateur

Carreau
Cassé
Fenêtre
Cacatoès
Bec
Pataquès
Pipistrelle
Hirondelle

Amicalement
Souplesse
Épaté
Patouille
Blob
Fauteuil
Confortable
Gentillesse

Lunettes
Glace
Bière
Avocat
Trafalgar
Coup
Lapin
Gloups

Bille
Saucisse de pommes
Louve
Rome
Musée
Marbre
Bizarre
Rémulus

Bidule
Eglantine
Confiture
Fourmis
Sucre
Papilles
Livre
Scarabée

Etape 2 : « la phrase tournante »

Expédition sauvage en coeur de Comminges
Aventure dans la jungle
Elle bat des paupières devant Indiana Jones
I LOVE YOU
Where is your hat ?
Tadadadaaaa tadaaa X2
A la claire fontaine
So lonely

1, 2, 3 Nous irons aux bois
4, 5, 6 manger des saucisses
Oh ! Je ne veux pas !
Je suis vegan !
7, 8, 9 je ne mange pas d’oeuf !
Sauf si c’est sous forme de FLAN
Flamberge au vent
Moi j’mets des gants
Et je me bouche le nez

Purée mais c’est pas croyable
Cacher le secret, parler pourquoi ?
Crotte de zut, mais c’est pas imaginable,
Sans déconneeeer
Michaël est de retour
Je suis ton père
Non, j’y crois pas
Si c’est vrai

Mon papa croque à pleines dents
Pomme et ver de terre
Mon papa est un ogre
La main engourdie se réveille
Que va-t-elle faire ?
Une palourde verte
Ma maman est…
La plus belle du moooonde, hein ?

Les sanglots longs
de l’hiver rond
soupèseront
Rire
des plumes oui oui non
je ne sais pas
des poils non non oui
je ne sais plus
des écailles non oui non
je n’en sais rien

Vouloir, pouvoir, savoir, croire
Vomir, salir, jaunir, vieillir
Jouer, chanter, nager, répéter
Pas d’affolement, ça baigne
Répétir, nagir, chantir, jouir
Frémir au pire
Bouger, créer, explorer
Penser, tourner, tournevisser,
Découper au cutter

Matthieu s’est perdu en vélo.
C’était sûrement un jour de chance
Ah la bonne tienne
Du haut de son palmier
Vite, vite, il dégringole
Le bout du nez s’est envolé
Qui le retrouvera, qui le rattrapera
Chacun sa route, chacun son chemin

Et ron et ron petit patapon
Ah le petit vin blanc
Et plif plaf plouf
Complètement ouf
Prendre le train
Non mais vous êtes sérieux, là ?
Un peu de rire parfois
Boum boum crac
Rentrer chez soi

Etape 3 : « le texte tournant »

Le vent s’était levé et le ciel s’obscurcissait. L’orage faisait déjà rage. « Il faut que je referme le toit de ma Dodge décapotable », me dis-je. Mais comment on fait, déjà ? En vrai, j’ai acheté une Dodge, mais je ne savais pas ce que c’était comme bagnole. C’est juste mon pote Serge qui m’a dit que c’était bien. J’ai cherché partout cette putain de télécommande, alors que la pluie ruisselait de partout, balayée par le vent de travers, et que mon intérieur en cuir en prenait un sacré coup ! Mon dieu, que dira belle-maman, et Jean-Yves, de l’état intérieur de la Dodge intérieur cuir-vinyl ? Au sortir de la forêt, la jeune elfe aperçut une masse indistincte, de couleur brune, battue par les rafales d’une averse qui ne la mouillait nullement, elle… Ben voilà, c’est la jeune elfe qui m’a piqué la télécommande de la Dodge. Si on la prend en tenaille, on lui saute dessus, on la gaze, on la menotte et POUF.

Il était une fois des profs fous qui se retrouvaient au lycée le samedi. Ils mangeaient des tas de croissants, échangeaient des conseils de jardinage et organisaient des ateliers. Il y avait surtout beaucoup de femmes, toutes un peu folles, oui, mais tellement drôles, pleines de vie(s) et de pensées. Elles parvenaient à prendre du temps pour construire ensemble des fiches tutorielles sur comment animer un GD. Elles se roulaient et se déroulaient dans le hall du lycée tout en pensant à la licorne à crinière d’argent qu’elles invoquaient de tous leurs voeux. Ouais, alors là j’vois plus du tout où on va, j’ai perdu ma boussole alors je prends mes clics et mes clacs et j’me tire sur ma moto superchouette, en emportant la poubelle pleine de textes froissés et de marc de café dégoulinant.

Salut, je me présente, moi c’est Bertha et je n’ai pas l’air mais je suis une femme sensible. D’ailleurs ça se voit, je tombe souvent de ma chaise, car oui, je suis sensible. J’ai souvent le rouge aux joues, les yeux humides, le souffle court. Je parle peu. J’aime bien les vieux chanteurs qui ont du panache. Johnny particulièrement me remplit de joie et m’émeut, lorsqu’il chante des ballades, mais j’aime mieux la musique de la cithare, songea-t-elle. Ou le cri du caribou les soirs de veillée autour du feu, et le crissement des bottes dans la neige immaculée. J’aime aussi le silence, ça me repose l’ouïe, que j’ai sensible, comme je l’ai déjà dit. Mais pourquoi on écrit tout ça ?

Dans mon bac à sable se cache un trésor. Je le sais parce que mon arrière-grand-mère en a parlé un jour. Selon la légende, il aurait été mis là par un vieux pirate. Celui-ci, avant d’être pendu sur les docks de Londres, avait participé à la colonie démocratique, utopiste et égalitaire « Libertalia » à Madagascar. Ce qui est paradoxal, je vous l’accorde, comment peut-on mettre en place une colonie démocratique dans une colonie ? Et l’appeler « Libertalia » ? Pourquoi pas « Egalitaria » d’abord ? Ou « Madagascaria » ? Ou « Colonia Pirata » ? Non, ça, ça ressemble à un nom de cocktail…. Bref, ce trésor était si précieux à ses yeux qu’il en parla une semaine avant sa mort (de pendu). Elle ne craignait pas la pluie. Elle n’était qu’une image, tirée des pages d’un livre de contes. Il était une fois une île…

Elle se glissa silencieusement entre les arbres. Ses pieds nus glissaient sur l’écorce des troncs. La nuit était douce et humide autour d’elle. Tout à coup, un sinistre craquement se fit entendre. C’était un ours brun – encore un, il y en avait tellement dans cette contrée – elle sortit son fusil et mit la bête en joue. Elle le tua, puis après avoir remercié les esprits, elle le dépeça et le chargea sur son chargement. Elle reprit la route, tirant en ahanant – le chariot était si lourd maintenant – pendant des heures. Au petit jour, elle aperçut à l’orée du bois le chef de la tribu. Ce dernier lui serra la main et lui dit d’une voix rauque : « Bravo Margaret, tu viens de rencontrer notre recteur académique. Bon boulot ! »

Elle arrivait sur la terre à conquérir, elle savait, elle était déterminée, elle s’en sortirait. Elle allait pouvoir compter sur son courage qui était immense, et la grande fiance qu’elle avait envers ses outils pédagogiques mis en place depuis 6 ans déjà. Elle avait bien roulé sa bosse. Long, long était le chemin qui la mènerait là-bas, où l’attendait son destin. Au milieu des hyènes elle se retrouverait. Comment les empêcher de la mordre… Elle savait qu’elle pouvait compter sur les copines et copains (du GD) et sur sa grande cape enroulée dans sa bosse. Est-ce que la roue va tourner ? Les phrases s’envolent et l’Histoire s’en mêle. Attention, ce texte est à double-sens ! Dans ce que vous dites, j’entends que vous voudriez qu’il soit à sens unique.

Une ville tentait de survivre dans le désert aride. Le maire et ses occupants étaient tous en proie à un grand désespoir. Elle sentit qu’on l’appelait, là-bas, très loin. Qu’on l’attendait. Le souffle du vent faisait gonfler sa cape nouée autour de son cou meurtri. Elle ne renoncerait pas : elle accomplirait sa mission. Mais zut, quelle était mission déjà ? Aucune idée, elle retourna se coucher. Elle ne savait plus si elle était une ville, une fille, une bille ou une brindille, et pourquoi le même graphème pouvait se prononcer de différentes manières dans cette fichue langue française. Ça c’est bien vrai !

Ecoutez cette histoire choubidoubidouha, d’un personnage sans nom choubidoubidouha. Ses pieds menus effleurant à peine l’herbe d’argent. En haillons, affamée, elle suivait le sentier. Soudain, elle se retourna choubidoubidouha. Et scoubidoou, scoubidoute, scoudiboua. La petite mandarine se retrouva encloque parce qu’elle n’avait pas utilisé de préservatifs. Il faut dire que c’est compliqué de poser un préservatif quand on est mandarin. Scoubidou, scoubidou, scouGROS BIDON maintenant ! Et que vas-tu faire, Mandarine ?, lui dit grand-mère.

Etape 4 : « l’injure tournante »

Espèce de crotte de nez !
J’te déteste, vieille pustule !
Langue de ministre
Aux chiottes les ministres
Vous n’êtes qu’un manant !
Va mourir dans une centrale nucléaire
Pue-du-bec ! Tête de fion !
Dégage, trou du cul !

Sale bourgeois pédant et méprisant plein de morgue !
Petit con qui conduit des Dodges !
Sale con de morveux qui donne des leçons !
Macho qui pue
Graine de violeur
Petit merdeux sans avenir
Raclure de bidet
Pourriture

Va niquer ton père !
Va niquer tes morts !
Et même que tes morts te niquent !
Tas de fumier !
Nique la police
ACAB
Nique tout
Nique-toi !

Saleté de bachi-bouzouk !
Branquignol
Braqueur de pauvres
Mille milliards de mille sabords
Jus de pustule
Fais chier !
Mange-merde !
Caca boudiiiin !

Triste sire
Tripe en délire
Crotte de bique
Escroc à la petite semaine
Ton père en slip devant le Prisunic !
Ton oncle à poil devant le tribunal !
Ta maîtresse en maillot de bain !
Crotte de bique en zinc empaillée !

Espèce de gros darmanin dégoulinant et putride
Gros con è (désolée « gros » fait grossophobe mais pas du tout ! les cons, on peut !)
Petite merde de ministre de l’intérieur de mes deux (j’ai rien contre les petits non plus, hein…)
Je te ferais bien un croche-patte !
GROS con !
Grand con (j’ai un petit quelque chose contre les grands…)
Le con, c’est le sexe féminin !
Macron !
FUCK

Fait chier, elle a ramené des poux
Saloperie de vermine dégueulasse
Merde !
Misérable insecte ! Parasite honteux !
Poux-ssif ! E-pou-vantable ! Pou-sse toi de là !
Vermine, sale asticot grouillant !
Sale ver de terre crasseux et puant
Calamar visqueux plein de bave

Suceur de sang
Horrible horreur sans nom
Bordel de chiotte
Colonisateur !
Connard
Chiasse de caca qui pue
Espèce de diarrhée !
Balai à chiotte

Etape 5 : « le vers tournant »

A l’ombre d’un canapé soupirait une poire
A l’ombre d’un grand arbre j’attendais
A l’ombre d’une pêche reposait une canne
A la lumière du jour attendait sa canne
A la lumière de la canne attendait la poire
A la canne du connard attendait le jour
Le jour où poire pêche pomme se reposaient
Et la cane de Jeanne est morte ce matin
Jeanne a pelé poire pêche et pomme
Et s’en est retournée.

Une bonne posture, une belle écriture
Et nous voilà fin prêts pour monter en voiture
Reste à présent à trouver l’allure
afin que ce ne soit pas trop dur
Ne perdons pas courage –

il en faudra tellement –
Continuons notre ouvrage
Jusqu’à la retraite évidemment…
Travailler, labourer, semer
Tant d’années à accumuler
Un vieux cowboy sur son cheval dans la plaine endormie
Bientôt, ce sera fini.

A l’horizon hélas, il y a une limite
Une limite limite car illégitime
Trait horizontal
Front pâle
Carcéral
Aussi loin que l’horizon
Aussi loin que l’infini
Passant, il n’y a pas de chemin :
on trace son chemin en avançant,
En reculant, en vacillant, en trébuchant
Tranquillement
Mais on avance vers l’avenir

Mais ma voix n’a pas pu ôter son bâillon
Les cris bloqués dans ma gorge
Les idées coincées dans ma tête
La triste colère qui m’étreint, m’entrave
Respire, respire, tu es en vie
Laisse couler le flot de tes mots
Ha-ha-ha
ho-ho-ho

La grande plaine est blanche, immobile et sans voix.
La voix n’a pas pu porter la chanson
Que le vent ramène de l’horizon
La neige étend son manteau blanc à pois
Amoindri, immuable, assourdi, monotone
Pourtant l’air est là, il s’enroule autour de moi
Il suinte, il serine, il roucoule, il m’étreint
Je me sens les pieds en l’air, la tête au sol.

La pelle pleine plie sous le peuplier
Mon dos s’échine
Mes reins ploient
Ah ! Quelle peine éperdue !
Jamais au grand jamais je n’oublierai
Y a même pas d’abeilles sur les pots de confiture,
Y a même pas de fenêtres, y a même pas de maison.
Mais c’est pas une maison
C’est la Dodge de l’elfe
Finis les selfies d’elfes à la pelle !
Le seau se vide sous le peuplier
La peine de l’elfe se traîne dans la plaine

Petite plante pousse poussivement
Près du plantain
Pour palabrer dans le pré, il préfère pousser patiemment
Tout ce qu’il a écrit
Il l’a puisé à l’encre de tes yeux…
Aux pupilles éteintes
De tout, de désarroi
Rallumons les lumières
Petit plantain réveille-toi c’est le printemps
Enfin.

Ne touchez pas l’épaule
Du cavalier qui passe
Oh ! la terrible nuit pour les petits oiseaux !
Ne touchez pas les ailes
De la mort qui le suit
Ne touchez pas les mains
De l’homme qui a peur
Haut les mains
On ne touche plus rien
Ne touchez pas, vous dis-je
Ou je me jette à l’eau
Enlever un sens, vous m’amputez
Vous m’asservissez