La monnaie de classe… Pourquoi ? Comment ?

S’il y a bien un sujet clivant dans les groupes de pédagogie Freinet, et même dans les groupes de pédagogie institutionnelle, c’est la monnaie de classe. Certain·es collègues ne pourraient plus s’en passer, toutes les pratiques de classe étant articulées autour de la monnaie (plan de travail, gestion de classe, ceintures, métiers, etc.). D’autres n’imaginent pas utiliser un outil qui s’apparenterait à une pratique « capitaliste » et qui éloignerait les enfants du savoir désintéressé. Alors qu’en est-il vraiment de la monnaie de classe ? A quoi sert-elle ?

La monnaie de classe est un outil de la Pédagogie Institutionnelle (P.I), cousine de la PF. Cela peut être des valeurs uniquement virtuelles inscrites dans un fichier, mais le plus souvent ce sont des billets imprimés sur papier par l’enseignant. Certain·es collègues gardent toujours la même monnaie (notamment dans les classe uniques ou multiniveaux, où les enfants restent plusieurs années d’affilée), d’autres changent chaque année (chaque classe choisit un nom de monnaie en lien avec ses affinités, sa tranche d’âge…). Parfois il y a des monnaies d’école (le nom est alors choisi en fonction du nom de l’école, voir par exemple le site de Bruce Demaugé).

Que rémunère la monnaie de classe ? Les travaux d’entraînement (fichiers, ceintures, fiches de lecture, parfois pages ou exercices d’un manuel… en fonction des outils choisis par l’enseignant) ; les travaux de création (textes, arts plastiques, lettres aux correspondants…) ; les métiers (ou responsabilités) ; les objets vendus sur le « marché intérieur » de la classe (une fois par semaine ou toutes les deux semaines, les enfants s’échangent des objets fabriqués ou venus de la maison).
Ainsi dans la classe personne n’est dépourvu de monnaie, car il existe différentes manières d’en gagner : métier, tutorat, ceintures, exposé, marché…

À quoi sert la monnaie ? Elle peut servir à payer des objets que l’enfant achète au marché intérieur ; à payer des amendes (gênes, rappels à la loi) ; à payer du matériel scolaire (ciseaux, gommes, compas, stylos…). Cette dernière option se justifie par la volonté d’éduquer les enfants à gérer leur matériel, de les responsabiliser. Par exemple on peut établir un fichier permettant à chaque enfant d’acheter chaque mois seulement un objet de chaque type maximum.

La monnaie est un outil de motivation pour les enfants qui n’arrivent pas à se mettre au travail.
C’est aussi un outil de mise à distance entre l’enseignant, l’élève, le travail. Il permet d’objectiver la sanction : une amende est payée, ce n’est pas l’adulte qui « punit » ou « pardonne ». C’est une médiation avec le pouvoir du maître. Selon Sylvain Connac, c’est un « outil de symbolisation des échanges dans la classe ». Ce n’est donc pas une récompense. C’est quelque chose qui n’existe que dans un groupe, un collectif, c’est un objet social.

Citation de René Laffitte, Mémento de Pédagogie Institutionnelle, éditions Matrice : « Plus d’un siècle après Marx, on pourrait savoir distinguer la monnaie, qui permet les échanges, du capital qui assure sa propre accumulation par l’exploitation de la force de travail et suppose la propriété privée des instruments de production… Par contre, pas besoin d’avoir lu Freud pour savoir ce que le bon sens nous répète : ce n’est pas beau de parler de ça, surtout devant des enfants. C’est sale, c’est de la merde, ça transporte des microbes… et les germes du capitalisme. C’est du pouvoir, aussi, et le scandale assuré, préservons nos chers petits… Avec le sexe et la mort, l’argent est un des signifiants majeurs frappés de tabou: usage strictement réservé aux castes supérieures… Une étude sérieuse des effets de l’argent dans la classe coopérative reste à faire… ».

Reconnaissance d’une valeur

La monnaie reconnaît la valeur de l’effort fait pour accomplir son travail. En tant que reconnaissance d’une valeur, quelle est alors la différence avec une note chiffrée ? D’autant que certaines notes reconnaissent non pas seulement la réussite à une tâche mais aussi l’effort fourni… Au contraire de la note, attribuée par le maître, la monnaie de classe est un outil de régulation qui n’existe qu’en lien avec le Conseil de coopération. C’est le Conseil qui va décider ce qui est payé ou pas, combien c’est payé, pourquoi… Le maître n’est donc pas seul à décider de ce qui est « bien » ou « moins bien ».

Discussions autour de la valeur

La monnaie permet de discuter en Conseil de la valeur de toutes les choses. Par exemple y a-t-il des métiers dans la classe qui doivent être payés plus que d’autres ? Si oui, pourquoi ? A cause de la fréquence (passer le balai a lieu plus souvent que porter des papiers dans l’école ou remplacer les absents) ? A cause de l’attractivité, de la pénibilité ? En fonction de l’offre et de la demande ?
De même les enfants sont amenés à se demander : est-il juste qu’une ceinture « foncée », plus difficile, soit payée davantage qu’une ceinture « claire », plus facile ? Que deviennent alors ceux qui travaillent lentement, ceux qui ont un niveau faible, ceux qui ont du mal à s’y mettre ? Est-il juste qu’une poésie facile soit moins payée qu’une poésie difficile ?
Le Conseil peut ainsi décider d’augmenter ou baisser le prix de certaines choses ou la rémunération de certaines tâches.

Autogestion de la classe et apprentissages socio-économiques autour de la monnaie

Le Conseil peut décider qu’il n’y ait pas de marché intérieur s’il n’y a pas un nombre minimum de vendeurs. Le Conseil peut fixer des règles de vente au marché : permission de faire des enchères ou non, possibilité ou non de réserver des objets, interdiction du « dumping » (revente à perte), interdiction de la revente immédiate (spéculation)… Chaque discussion amène des connaissances et des questionnements, notamment autour des dérives qui surviennent autour de la monnaie : inflation, spéculation, inégalités sociales et inégalité des chances, publicité mensongère, jeux de hasard, salariat, sous-traitance, exploitation, vol, abus de confiance, fonctionnement d’une banque et d’une assurance, taux d’intérêt, calcul de risque, plus-value, épargne et dépense…
C’est donc un vrai apprentissage de ce qui est en général tabou à l’école primaire : le fonctionnement de l’argent. Cela permet aux enfants de se questionner sur la valeur, réelle ou symbolique, des choses. Et peut-être aussi de se rendre compte qu’après tout, l’argent n’est qu’un fétiche.

Loin d’encourager à tout monétiser, accaparer, thésauriser, la monnaie s’avère un vrai outil de coopération dans la mesure où : certains élèves se mettent à plusieurs pour gérer un stand ; certains élèves prêtent ou donnent à leur camarade moins fortuné ; certains proposent des objets gratuits ; certains accomplissent une tâche pour les autres… Ils expérimentent ainsi le don, la gratuité, la coopération et la solidarité.

En documents attachés, voici quelques exemples de barèmes, plans de travail et mémento sur la monnaie à l’usage des enfants et des parents, documents utilisés à l’école de Sengouagnet dans la classe de cycle 3 de Katy. Le dernier document est un exemple de fiche de suivi hebdomadaire, qui permet de suivre le travail et la rémunération des élèves, pour faire le bilan avec eux.